Aujourd’hui, Tim & Time Alsace vous emmènent à Wingen-Sur-Moder, dans le Parc des Vosges du Nord, pour une découverte historique « avant René Lalique »: Le site verrier Hochberg à Wingen-sur-Moder – une Histoire de famille(s).

Prenez conscience de la véritable dynastie des maîtres verriers fondateurs du site, devenus membres éminents de la Famille Teutsch… ayant conservé l’héritage d’un véritable savoir-faire, transmis plus tard à René Lalique et à ses ouvriers qualifiés de la fabrique. Découvrez l’Histoire de ce lieu, abordée sous l’angle de la généalogie de ses premiers propriétaires, et croisée avec son patrimoine immobilier pour un plus grand éclairage encore. Nous finirons par leur lieu de repos éternel tout à fait singulier, le Cimetière Teutsch, sur l’agréable sentier forestier dit « des Verriers ».

D’ailleurs, si vous recherchez une idée « Vieilles Pierres » pour votre balade de ce weekend, vous pouvez consulter notre rubrique dédiée sur le Patrimoine ici.

INTRODUCTION

L’inspiration pour cet article a commencé lors de notre dernière visite au Musée de Wingen-sur-Moder, en mai 2025. La guide qui officiait nous a présenté succinctement l’historique du site avant que René Lalique n’y imprime définitivement sa « marque de fabrique ». Ses explications soulevaient un sujet d’une grande profondeur pour l’Histoire locale, que nous n’avions malheureusement pas le temps d’évoquer ce jour-là. Décidant de creuser, nous sommes partis à la découverte du site verrier du Hochberg. Et ce que nous y avons trouvé n’est rien d’autre que la beauté du savoir-faire, transmis de génération en génération dans les Vosges du Nord, du XVème siècle à aujourd’hui !

En route, suivez-nous !

LE VERRE ET LA VILLE

Une Histoire de famille(s), imprimée sur les cartes et documents anciens.

La carte de Cassini, dont la réalisation s’étale de 1756-1815, établit déjà les sites verriers de Hanauer Glashütte et de Wingener Glashütte à ce même endroit. Les recherches très appliquées de Gérard Fischbach et de son équipe montrent que de tout temps, les familles de verriers avaient un caractère nomade car il fallait se trouver au plus proche de la matière première et de la ressource en bois. Le secteur forestier des Vosges du Nord était alors un terrain propice à la dissémination des verreries. Elles finirent par s’établir définitivement, renforcées plus tard par le chemin de fer (le ‘Ziggel) qui les approvisionnait.

C’est ainsi que le site qui nous intéresse deviendra en 1715 et jusqu’en 1868 la verrerie du Hochberg, grâce à Jean-Adam Stenger (1683-1738) un maître issu d’une vieille famille de verriers. Pour pouvoir s’y établir, ce dernier avait conclu un accord avec le compte Hanau Lichtenberg, propriétaire des terres à l’époque (en 1715).

L’Histoire a déjà retenu la présence d’une verrerie sur Wingen entre 1618 et 1621, exploitée par Hans Stenger (1600-1654). En remontant le fil généalogique, nous nous apercevons que quelques familles très anciennes de maîtres-verriers, (dont les Stenger sont parmi les plus grands représentants), étaient déjà particulièrement implantées dans les Vosges du Nord et jouissaient d’un certain monopole pour la création de verrerie. On retrouve encore plus tôt la trace de cette dynastie de verriers près de Francfort, où déjà en 1406, six maîtres portant le nom de Stenger avaient signé la « Charte des Verriers » ou accord du Spessart.

Ils seraient arrivés autour des années 1500 dans le secteur de Volksberg et de Rosteig-Kahlenberg. Du XVI° au XVIII° siècles, ils créent et fournissent en verrerie pour la seigneurie de La-Petite-Pierre. La verrerie de Rosteig-Kahlenberg dite « Alt Rostey » sera autorisée en 1630, en pleine Guerre de Trente Ans (1618-1648) – guerre qui dévastera complètement la région avec une épidémie de peste de 1622 et 1629. La verrerie aura réellement fonctionné de 1650 à 1710 environ. Le petit-fils de Hans Stenger (1600-1654), Jean-Jacques (1660-1747) sera cofondateur des verreries de Wingen (avec son beau-frère Georges-François Reppert) et du Hochberg en 1715, avec son fils Jean(Hans)-Adam Stenger (1683-1738).

Au début de l’épopée, les copropriétaires se répartissaient la place et le temps passé devant les fours. Mais ils abandonnèrent progressivement le travail manuel pour se consacrer aux tâches de direction et de commerce.

Une parenthèse américaine intéressante.

Ce même Jean-Adam fondera une autre verrerie : à Lemberg, avec J.A. Graessel de Mattstal en 1729. Sans doute les besoins étaient tels qu’ils favorisaient une stratégie d’étalement des verreries pour être au plus proche de la ressource en bois.

Un de ses fils, un autre Jean-Jacques né en 1715 et dont le nom américanisé sera désormais Stanger, émigrera en 1768, travaillera d’abord pour la verrerie de Wistarburgh. Vers 1781, les « Stanger Brothers » installeront la leur, qui deviendra plus tard rien de moins que la ville de Glassboro dans le New Jersey (glass = verre).

Par la suite, Victor Stenger ou Stanger, né en 1872, serait revenu en 1921 (après la fermeture de la verrerie de Glassboro en 1920) pour travailler chez Lalique. L’histoire veut qu’il ait détenu le secret de la gravure à l’acide. Il l’aurait confié en 1946 à l’un de ses voisins, lui-même artisan chez Lalique. Ce Victor Stenger boucle la boucle entre les familles Stenger, Teutsch et Lalique : vous verrez cela très vite.

Carte d’Etat Major, entre 1820 et 1866.

Parmi les bâtiments du XVIII° siècle, il ne reste plus que la maison de maître (devenue un peu plus tard la première résidence de la famille Teutsch). Le reste sera construit entre 1811 (seconde maison de maître, ateliers, logements d’ouvriers) sous la direction de Frédéric Wittmeyer, et 1839 (halle d’étendage) sous celle des Teutsch.

Frédéric Wittmeyer (1749-1816), maître-verrier, se maria avec Louise Catherine Graessel en premières noces. Cette femme, était héritière d’un tiers des droits sur le Hochberg concédés autrefois à son grand-père Jean-Adam Stenger, via sa mère Sophie Catherine. Frédéric Wittmeyer rachètera le reste des parts de la verrerie en 1808.

Durant cette apparente période de transition, le site verrier du Hochberg demeure exceptionnellement dans la lignée des maîtres verriers Stenger, grâce au mariage et à l’hérédité.

À la mort de sa femme Louise en 1814, il hérite de ses droits et en deviendra le seule propriétaire. Il cumulera son rôle de patron à celui de maire de Wingen, de 1790 à 1798 puis de 1806 à 1816, faisant passer le Hochberg sur le territoire de la commune (car il dépendait jusque-là de Wimmenau).

Frédéric se remariera en 1814 et deviendra alors le premier époux de Charlotte Metz, (née Stenger) à l’âge de 65 ans quand elle n’en avait que 18 (!).

Au décès de Wittmeyer en 1816, soit deux ans plus tard, Charlotte (1796-1840) se remariera avec Jacques Henri Teutsch (1794-1845) à l’âge respectif de 20 ans et 22 ans. Héritière aux deux tiers de la verrerie du Hochberg et arrière-arrière petite fille de Jean (Hans) Adam Stenger, le fondateur originel de la verrerie du Hochberg, Charlotte permet la conservation de la lignée des maîtres-verriers Stenger et l’héritage d’un savoir-faire, faisant à présent le lien, par mariage, avec les Teutsch.

Son nouveau mari deviendra notaire, fabricant de verre et, copropriétaire de la verrerie du Hochberg. Six enfants naîtront de leur union, trois filles toutes décédées très jeunes et trois garçons :

– Henri (1827-1850), dont le métier est inconnu pour nous,

Victor (1830-1889), fabricant de verre,

Edouard (1832-1908), fabricant de verre devenu député et trésorier payeur général.

Musée Lalique

La sœur de Charlotte, Sophie Metz, se mariera avec Chrétien Teutsch (que nous appellerons « Ier » pour la clarté de la suite). Ce dernier devenu copropriétaire de la verrerie du Hochberg, était fabricant de verre, maire, et conseiller d’arrondissement. De leur mariage naîtront quatre enfants dont une fille, mais comme ses cousines, elle décèdera très jeune.

Resteront alors les trois garçons de cette branche héritière du savoir-faire Stenger devenus Teutsch:

Chrétien Frédéric (1814-1879), appelé II par convenance ici. Il fût directeur de verrerie, rentier et employé de commerce.

– Henri (1817-1864), notaire

– Émile (1819-1867), aubergiste.

MAITRES-VERRIERS DE PERES EN FILS, BIEN INTEGRES DANS LEUR EPOQUE

Grande famille protestante installée de longue date en Alsace Bossue (sur Asswiller notamment), les Teutsch étaient autrefois des collaborateurs de la verrerie du Hochberg. Chrétien Henri Teutsch Ier (1788-1857) y exerçait le métier de « facteur », c’est-à-dire comptable. Il fût également maire. A son époque, il travaillait pour le compte de Fréderic Wittmeyer.

Jacques Henri, cousin germain et beau-frère par alliance rachètera le dernier tiers de l’héritage Wittmeyer et créera avec Chrétien Henri Ier la société Chrétien et Henri Teutsch pour l’exploitation de la verrerie, de 1817  à 1855. 

Château Hochberg

Victor Teutsch

Edouard Teutsch

Edouard Teutsch

De 1855 à 1868, une autre prendra la relève: la Société de  Victor et Edouard Teutsch, tenue par les deux fils de Jacques Henri. 

L’activité prospéra jusqu’à l’extinction de la demande en verre à vitres par les verreries chauffées au bois et au manque de bois lui-même. Cependant les patriarches avaient déjà diversifié leurs activités, au sein du monde politique notamment, mais aussi dans le négoce, dans la culture et dans l’hébergement (auberge) avec le reste de leurs fratries.

LE CHATEAU HOCHBERG, UN LIEU CHARGE D’HISTOIRE VERRIERE

Château Hochberg

Le Château Teutsch, renommé Château Hochberg à la mort d’Edouard en 1908, a été bâti entre 1863 et 1866 dans les années de déclin de la verrerie. Il est devenu la résidence de la famille après qu’elle ait occupé l’ancienne maison de maître Wittmeyer, juste en face.

Le Château, conçu en accord avec le style Napoléon III (Second Empire), est composé de quatre niveaux, entièrement réaménagés au cours de l’Histoire. Seules la toiture et ses façades de grès, de moellons et d’enduit ont été conservées. Partiellement inscrit Monument Historique en 1996, il a connu diverses occupations, en majorité publiques après les Teutsch et redeviendra progressivement privé dans sa proche Histoire.

En voici l’historique reconstitué, croisé avec l’histoire familiale des Teutsch:

– 1855 à 1868 : création de la société Victor et Édouard Teutsch. Auparavant, la société Chrétien & Henri Teutsch avaient exploité le domaine, de 1817 à 1855.

– 1863 : construction du château sous l’impulsion d’Edouard Teutsch, embrassant en parallèle une carrière politique.

– 1868 : fermeture de la verrerie suite à des problèmes d’approvisionnement et de concurrence. En 1870, une nouvelle Guerre éclate.

– 1879 : la société cesse de fonctionner, impactée par des difficultés rencontrées dans l’exploitation forestière, nécessaire à la production. La société comportait deux maisons de maître, le château, d’autres maisons, la cité ouvrière et les ateliers. L’un de ces derniers fût transformé en ferme.

– entre 1879 et 1908 : le Hochberg est occupé par les Teutsch à la belle saison. Édouard ayant un poste de trésorier payeur général sur Auch, Mâcon, Épinal et Nancy.

EN 1908, A LA MORT D’EDOUARD, LE CHATEAU SERA VENDU PAR LES HERITIERS AVEC LA QUASI-TOTALITE DE LEUR DOMAINE. IL EST RENOMME « CHATEAU HOCHBERG ».

– 1921 : sans lien direct avec le Hochberg (semble-t’il), l’Usine Lalique est inaugurée. Après la guerre, les industriels Français sont attirés en Alsace par des avantages fiscaux. René Lalique avait précédemment jeté son dévolu sur trois autres verreries locales, dont Meisenthal et Saint-Louis, sans toutefois parvenir à les acquérir.

– 1934 : le Château Hochberg aurait été revendu par M. Klein (propriétaire depuis 1908) à M.Ziegler (mais nous n’avons pas pu vérifier ces deux informations).

– 1947 : l’association des Amis de l’Enfance Saint-Laurent en est propriétaire.

– 1990 : le château sert de colonie de vacances – centre de loisirs et de plein-air avec la signature d’un bail emphytéotique au CCAS de Bischeim. Ce dernier rénove entièrement la bâtisse pour 9 millions de francs.

– 1996 : la gestion revient à la SCAEB pour un loyer annuel fixé à 490 000 francs, mais les comptes seront toujours déficitaires. En 1999, il était question de recherche de subventions et d’abandon de créance avec clause de retour à meilleure fortune.

– 2014 : achat du Hochberg par Silvio Denz, président directeur général de la Maison Lalique et collectionneur Suisse de flacons de parfum anciens. Création des statuts en tant qu’hébergement hôtelier. La société Suisse Art & Fragrance avait déjà racheté en 2008 la fabrique Lalique au groupe de cristallerie Française Pochet. Cette dernière étant devenue propriétaire grâce à la dernière héritière Lalique : Marie-Claude, fille de Marc, en 1994.

– 2016-2017 : rénovation du Château Hochberg devenu hébergement de luxe et bistrot gastronomique.

LE CIMETIERE TEUTSCH, LIEU DE REPOS SINGULIER

Le cimetière fait reposer Édouard Teutsch (décédé en 1908) en compagnie de ses parents, de ses frères et sœurs, ainsi que deux fidèles domestiques : Sophie Weissberger et Marie Walter. Viendront plus tard s’ajouter les fils d’Edouard : Fernand et Gaston Teutsch (ainsi que la femme de celui-ci).

Selon Marguerite Teutsch (1875-1962), son père Édouard en tant « qu’ancien député sans doute, avait pu obtenir l’autorisation de construire un cimetière dans une forêt lui appartenant, avec la permission d’y transférer ses parents inhumés jusque-là dans le cimetière de Wingen« .

Sentier des Verriers - panonceau
Le cimetière Teutsch de Wingen sur Moder

Lieu particulièrement empreint de majesté et de solennité, la forêt lui procure le charme du passé. Le sentier qui y mène est aussi intéressant à observer. Si vous vous y rendez, vous constaterez quelques chicanes maçonnées agrandissant parfois le passage. Ancien lieu de promenade des Teutsch, elles devaient y accueillir des bancs pour s’arrêter, discuter ou admirer le paysage.

Nous vous recommandons vivement d’y aller, et pourquoi pas de poursuivre jusqu’aux piles du pont du ‘Ziggel à Rosteig, à partir de là.

Sinon, vous pouvez pousuivre sur le sentier des Verriers. C’est un circuit en boucle, balisé par le Club Vosgien. Il démarre à partir du Musée Lalique. Pour tout public, il peut se faire en entier (8,2 km – 3 heures environ) ou par petits morceaux pour découvrir d’autres quartiers de Wingen-sur-Moder qui ne seraient pas sur le tracé.

POUR CONCLURE, UNE INVITATION A LA DECOUVERTE

Existe-t’il encore des descendants de cette dynastie de verriers, travaillant toujours pour la Fabrique Lalique? Ce serait une question intéressante à poser aux Ressources Humaines de l’entreprise de Silvio Denz!

Notre petite question posée à cette dame guide du Musée Lalique nous a finalement conduit à la découverte d’une généalogie entière (et complexe!) de maîtres-verriers. De nombreuses lectures ont été nécessaires pour tout comprendre. Mais elles ont été passionnantes ! Nous saluons le travail de recherche conséquent mené par Gérard Fischbach et son équipe, dont nous espérons avoir fidèlement retracé l’étude avec un esprit de synthèse, nous imposant de faire quelques arbitrages pour cette rédaction.

Souhaitons que cet article voyage jusqu’à Glassboro aux USA et pourquoi pas nous mette en contact avec les héritiers du savoir-faire verrier des Stenger !

SOURCES :

/ OUVRAGES /

  • Wingen-sur-Moder, Histoire d’un village verrier / ouvrage édité par la commune, comité de rédaction Brumm, Huber, Dorschner, Guntz, Lutz, Fischbach / Collection Mémoire de vies
  • Architecture patrimoniale des bâtiments de colonie de vacances, Bernard Toulier / Revue Institut des Patrimoines 4088.
  • 1922-2022, les 100ans de Lalique à Wingen-sur Moder / I.D l’Edition
  • Regard historique : les origines des verriers du Hochberg, Gérard Fischbach

/ INTERNET /

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